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    Prières de rue musulmanes : enquête sur le double jeu du maire de Clichy-la-Garenne

    Rémi Muzeau est cité à comparaître le 9 janvier prochain pour diffamation et incitation à la haine. Alors qu'il dément avoir voulu créer une bousculade le 10 novembre dernier, une vidéo que nous nous sommes procurée prouve que la police municipale a reçu l'ordre de pousser les fidèles musulmans.

    Si les prières de rue ont été stoppées à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), la polémique ne devrait pas cesser pour autant. L'union des associations musulmanes de Clichy-la-Garenne (UAMC), représentée par Me Arié Alimi, a décidé de contre-attaquer après la manifestation houleuse du 10 novembre dernier.

    La séquence avait suscité de vives réactions. Le maire de la ville, Rémi Muzeau (Les Républicains, LR), avait convié de nombreux élus (LR, Union des démocrates et indépendants, Front national) à se rassembler pour protester contre les prières de rues organisées tous les vendredis depuis la fermeture d'une salle de prière en mars dernier. Celle de la rue d'Estienne-d’Orves, où se réunissaient quotidiennement «entre 3 000 et 5 000 fidèles», selon l’UAMC.

    #Clichy Scène hallucinante : aucun dialogue, mais des élus qui chantent la Marseillaise en même temps que la prière… https://t.co/aJVRIRJzHA

    L'UAMC a donc porté plainte contre X pour «violences à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance vraie ou supposée de la victime à une religion déterminée, par personne dépositaire de l'autorité publique...» Mais aussi pour «participation à un groupement formé en vue de la préparation d'un acte de violences» et pour «manifestation illicite». L'association accuse le maire d'avoir donné l'ordre «de bousculer les fidèles musulmans».

    Le maire dément avoir ordonné à sa police de repousser les musulmans...

    Invité dans de nombreux médias, le maire a expliqué sa démarche et lancé différentes accusations. Interrogé sur LCI juste avant la manifestation, il expliquait ainsi l'objectif de son action :

    «La République est bafouée et en tant que maire je ne peux pas laisser faire ça. En tant que maire, j'ai fait appel à mes collègues de la région Île-de-France et même au-delà pour montrer que l'on doit respecter des règles, respecter la liberté et surtout ne pas provoquer aujourd'hui dans la rue, ce qui se fait aujourd'hui tous les vendredis à Clichy.»

    Contacté par BuzzFeed News, l'avocat de Rémi Muzeau, Me Rémi-Pierre Drai, dément catégoriquement :

    «Le maire n'a donné aucune consigne en ce sens. Il a parfaitement respecté la loi.»

    ... une vidéo prouve l'inverse

    Pourtant, une vidéo que BuzzFeed News s'est procurée montre qu'un responsable de la police municipale dit à ses agents d'avancer sur ordre de l'édile, ce qui a pour conséquences de pousser les fidèles musulmans jusqu'à une palissade.

    Sur cette vidéo, des élus, regroupés derrière des policiers municipaux, font face aux fidèles. Lorsque ces derniers entament leur prière, l'un des responsables de la police municipale lance : «On avance. Allez, avancez s'il-vous plaît. On avance.» Puis l'agent s'immobilise pour demander les ordres du maire de Clichy : «On avance ou pas ? On pousse ? Qu'est ce qu'on fait ? On avance ?». Le policier lance ensuite à ses collègues :

    «Le maire a dit "on avance". Allez-y, on avance !»

    S'ensuit alors une importante bousculade, des cris et des protestations des fidèles. Rapidement, la gendarmerie nationale intervient pour s'interposer et former un cordon de séparation. L'avocat du maire insiste pourtant : «Je n'ai pas vu cette vidéo, j'attends de la voir, mais il n'y a jamais eu ce genre de consignes.»

    Malgré ces démentis, un journaliste d'Europe 1 présent sur place a lui aussi constaté que «ce sont bien des élus avec leurs écharpes qui ont tenté d'aller bousculer les fidèles».

    #Clichy Toujours plus loin dans le surréaliste : ce sont bien des élus avec leurs écharpes qui ont tenté d'aller bo… https://t.co/FSRnhlJuR0

    «Si tu veux la paix, prépare la guerre»

    Pour l'UAMC, c'est la preuve que le maire est en cause. «Il est patent que les élus qui manifestaient contre la prière de rue, en cela assistés par les officiers de police municipale, ont commis des actes de violence à l'encontre des personnes de confession musulmane, avec pour unique raison leur appartenance vraie ou supposée à cette religion», peut-on lire dans la plainte déposée par l'association. «Si les gendarmes n’étaient pas intervenus, des personnes auraient fini écrasées contre les murs», ajoute Me Alimi.

    L'avocat de l'association s'étonne aussi que l'un des policiers municipaux ait exhibé une tête de mort sur sa tenue et ce, devant tous les élus, le maire et les médias présents. Sur l'écusson de cet agent, on peut en effet y voir le logo du personnage de Marvel, le tueur The Punisher, connu pour incarner «l’esprit de vengeance et de justice personnelle». Et cette maxime en latin : «Si vis pacem, para bellum.» «Si tu veux la paix, prépare la guerre.»

    Dans cette bataille qui oppose le maire et l'association, les détails de procédure prennent aussi une place importante. En effet, les prières de rue qui avaient lieu tous les vendredis n'étaient pas légales car elles étaient non déclarées. L'UAMC n'a produit qu'une seule déclaration alors qu'elle aurait dû en fournir au minimum tous les quinze jours, selon la loi.

    Sauf que d'après l'UAMC, qui a aussi porté plainte pour manifestation illicite, l'action organisée par le maire n'était pas non plus légale. Une manifestation a bien été déclarée, nous confirme la préfecture des Hauts-de-Seine. Mais pour l'association, «il semble peu probable qu'elle ait respecté le parcours prévu dans la mesure où elle aboutissait au même lieu que le rassemblement organisé par l'UAMC». Étant donné que les fidèles se rassemblaient au même endroit tous les vendredis depuis huit mois, difficile de ne pas anticiper le trouble à l'ordre public qu'allait susciter la rencontre des parties.

    Le maire dénonce un tract antisémite...

    D'après nos informations, confirmant celle de La Croix, Rémi Muzeau est aussi cité à comparaître le 9 janvier prochain pour «diffamation publique commise envers un particulier à raison de son origine ou de son appartenance à une religion déterminée» et «incitation à la haine raciale». Dans ses différentes interviews, le maire avait lancé de graves accusations. Juste avant la manifestation, il déclarait par exemple sur LCI :

    «Il y a eu des prêches en arabe, des prêches avec des appels au meurtre. […] Il y a eu aussi des documents qui ont été mis dans la rue, qu’on a récupérés avec des phrases terribles qui disaient "si vous rencontrez un Juif, tuez-le" !»

    Ces accusations ont immédiatement déclenché un emballement médiatique jusqu'à ce que Libération et Le Figaro révèlent que le supposé «tract antisémite» distribué lors des prières est en fait un tract islamophobe. «C'est assurément, un tract antimahométans» a d'ailleurs admis sans difficulté son auteur, faisant référence au prophète.

    Mais là encore, l'attitude du maire pose question.

    Sur ce tract que nous avons pu obtenir, plusieurs indices montrent qu'il s'agit d'un détournement.

    • Le nom du prophète est francisé (Mahomet) alors que les fidèles eux, le nomment Mohammed.
    • Le document précise bien qu'il s'agit de «morceaux choisis» du Coran et dit citer le livre «La biographie du prophète Mahomet» de Ibn Hichâm (Fayard).
    • Le tract est signé MRAP (comme c'est indiqué ci-dessous), pour Mouvement pour le respect et l’adoration du prophète. Il s'agit clairement du détournement de l'acronyme «Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples».

    ... dont l'auteur était connu de tous

    Plus grave encore d'après l'UAMC, l’homme à l’origine de la distribution du tract était connu non seulement des fidèles mais aussi des autorités. «Tout le monde l’a vu, les policiers, les RG, le commissaire. Il a distribué son tract aux gens qui étaient debout puis il a commencé à le distribuer aux gens qui priaient. On l’a pris poliment pour pas qu’il n’y ait de problèmes et puis voilà. C’est facile à vérifier, la caméra du marché a tout filmé», explique le vice-président de l’UAMC, Rabah Heyoun, à Libération. La police a également confirmé cette version au quotidien :

    «Je n’ai jamais vu de tracts émanant des membres de l’association. Pour moi, ces distributions proviennent uniquement d’énergumènes à la périphérie du conflit.»

    Détenteur du tract supposé antisémite, le maire n'a donc pas évoqué le sujet avec la police qui connaissait pourtant l’identité de l'auteur. Il n'a pas plus saisi le procureur de la République, alors même que l'article :40 du code de procédure pénale l'y oblige. Auprès de BuzzFeed News, Me Rémi-Pierre Drai défend son client :

    «Le lien avec le tract est logique puisqu'il a été distribué lors des prières de rue. Mais il n'a pas accusé directement l'association.»

    S'agissant des prêches en arabe «avec des appels au meurtre», le maire n'a pour l'instant aucun élément. «Il n'a pas encore appris l'arabe, mais deux enquêtes sont ouvertes», dit son avocat. Libération a de son côté expliqué que le verset incriminé est interprété de manières différentes et que rien ne prouve que l'imam avait une intention radicale.

    C'est pour ces deux accusations, répétées dans de nombreux médias, que le maire est cité à comparaître le 9 janvier prochain. «L'ensemble des termes utilisés par le maire de Clichy participe à la stigmatisation de la population musulmane, sans aucune nuance ni réserve, et porte bien évidemment atteinte à l'honneur et à la considération de l'association UAMC, ainsi qu'à l'ensemble des personnes de confession musulmane.»

    Le maire affirme qu'une salle de prière de 2000 m2 existe...

    Avant son élection, la relation entre le maire et les fidèles musulmans était très bonne. Entre autres parce qu'il s'était engagé à faire construire une mosquée pour qu'elle soit gérée par l'UAMC.

    @grebert @Emonet4 @gadyle Ce maire en avait fait la promesse à ses habitants de confession musulmane. Qu' il assume… https://t.co/auVx8AN1ZK

    Etait-ce alors du clientélisme ? Encore une fois, Me Drai dément:

    «Nous avons ouvert une salle de prière à un autre endroit, mais l'UAMC a refusé de signer le bail. C'est donc une autre association, La Fédération nationale des musulmans de France (FNMF), qui gère ce lieu de culte.»

    Dans toutes ses interviews, le maire affirme en effet qu'une salle de prière de 2 000 m2 est ouverte rue des Trois-Pavillons, à 1,5 km du centre-ville. Comprendre : qu'elle peut accueillir environ 2000 fidèles chaque vendredi comme c'était le cas pour la salle de l'UAMC qui a fermé. Or, d'après les baux emphytéotiques que nous avons pu consulter, cette affirmation est fausse.

    ... le bail montre qu'elle n'est que de 368 m2

    Le lieu peut se découper en trois parties.

    • Le rez-de-chaussée, «à usage exclusif de lieu de prière», de 368,7 m2.
    • Un local «à usage industriel et de bureau» de 111,8 m2
    • Les étages, «à usage exclusif de centre culturel», (qui comprennent des salles de classe notamment) de 1387,5 m2.

    Le maire ferme une salle de prière parce qu'aucune médiathèque n'existe...


    Pour l'UAMC, il n'y a donc pas 2000 m2 disponible pour prier le vendredi, comme le laisse entendre l'édile. «La préfecture tolère que la partie culturelle puisse permettre d'accueillir les fidèles», rétorque l'avocat du maire. La préfecture des Hauts-de-Seine n'a pas été encore en mesure de nous confirmer cela.

    Enfin, pour expliquer que la fermeture de la salle de prière n'est pas une décision contre les musulmans, Rémi Muzeau précise vouloir y construire une médiathèque. Un équipement culturel qui n’existe pas selon lui à Clichy.

    ... sauf qu'il en existe déjà une

    «Pour une ville de 60 000 habitants, ce n’est pas acceptable», justifiait l’élu auprès du Parisien. Pourtant comme nous avons pu le vérifier, une médiathèque de 800 m2 existe bel et bien à Clichy.

    Contactée, l'une des salariées confirme exister et précise que la salle de prière fermée de l'UAMC «sera en réalité une annexe de la médiathèque déjà existante». Sollicité à de multiples reprises, Rémi Muzeau n'a pas souhaité nous répondre.